Bloc-notes Éco

Les émissions de billets augmentent et leur vitesse de circulation se replie

Mise en ligne le 8 Juin 2023
Auteurs : Lucas Devigne, De Pastor Raymond, Lalouette Laure

Billet n°316. La quantité de billets en circulation et les motifs de détention évoluent depuis 20 ans. La hausse des émissions de billets s’accompagne d’une importance accrue de la thésaurisation domestique et de la demande étrangère. La progression de ces motifs de détention, mais non de transaction, induit une vitesse de circulation plus faible.

Image Graphique 1 : Évolution des parts estimées, dans le total des émissions nettes, des quatre motifs de détention de billets, valeur depuis 2002 Source : calcul des auteurs à partir de Seitz, Devigne et de Pastor (2022).
Graphique 1 : Évolution des parts estimées, dans le total des émissions nettes, des quatre motifs de détention de billets, valeur depuis 2002 Source : calcul des auteurs à partir de Seitz, Devigne et de Pastor (2022).
Notes : Les étiquettes indiquent le montant en milliards (mds) d’euros et le pourcentage dans le total des émissions nettes de billets en valeur en 2002, 2011 et 2019.

Une demande de monnaie croissante avec des motifs de détention de la monnaie qui évoluent

Entre 2002 et 2019 (cf. graphique 1), les émissions nettes de billets en France n’ont cessé de progresser. Elles mesurent la différence entre le nombre de billets émis et le nombre de billets revenus à la banque centrale. Les déplacements de monnaie fiduciaire se sont accrus depuis la création de la zone euro, dans laquelle la monnaie unique circule librement entre 20 pays. Bien que la banque centrale connaisse exactement le montant des billets émis sur son territoire, elle ne peut savoir où ils circulent, qui les détient et pour quels motifs.

Dans leur étude, Seitz, Devigne, et de Pastor (2022) s’appuient sur une méthode indirecte dite saisonnière appliquée aux émissions nettes de billets en France pour estimer les parts respectives que représentent les différents motifs de détention (transaction, thésaurisation et demande étrangère). À partir du degré de saisonnalité observé sur les mouvements infra-annuels des émissions de billets, il est possible d’identifier les différentes parts. Par exemple, la saisonnalité qui caractérise les transactions est plus marquée. Les auteurs trouvent que, pour la France, environ 15 % des émissions nettes de billets en valeur étaient utilisées à fin 2019 pour régler des transactions domestiques ; 25 % d’entre elles étaient utilisées à des fins de thésaurisation domestique et plus de la moitié (60%) des émissions nettes étaient détenues hors de France, soit dans le reste de la zone euro (15%), soit en dehors (45%). Depuis 2002, la proportion utilisée hors de la zone euro a été en constante augmentation, tandis que celle utilisée pour des transactions domestiques a diminué.

En montant, les émissions nettes, en valeur, ont généralement progressé pour les différents motifs de détention (cf. graphique 1). Les montants utilisés à des fins de transaction ont doublé depuis 2002 (passant de 10 à 20 mds d’euros), de même que ceux relatifs à la thésaurisation (passant de 17 à 35 mds d’euros). S’agissant de la demande étrangère, les flux vers les autres pays de la zone euro, quasi-nuls en début de période, ont augmenté très rapidement, atteignant 28 mds d’euros en 2014, avant de se tasser (23 mds d’euros en 2019). La demande hors zone euro n’a décollé qu’à partir de 2010 (5 mds en 2011), mais a alors connu une croissance très marquée (65 mds d’euros en 2019), jusqu’à supplanter la demande venant des autres pays de la zone euro.

Avec le recul du motif de transaction, la vitesse de circulation de la monnaie diminue

Après son émission, un billet change de mains plusieurs fois, d’autant plus s’il est utilisé pour régler des transactions, jusqu’à ce qu’il soit déposé dans une banque commerciale par un particulier ou un commerçant dont le compte bancaire sera crédité. La banque commerciale retourne ensuite ce billet à la Banque de France afin de retirer les billets abîmés de la circulation. Ainsi, la vitesse de circulation d’un billet lorsqu’il est utilisé à des fins de transaction est plus élevée que lorsqu’il est thésaurisé ou lorsqu’il a quitté le territoire français (cf. schéma 1).

L’évolution des motifs de détention des billets est susceptible d’affecter leur vitesse de circulation moyenne.

Image Schéma 1 : La vitesse de circulation de la monnaie est fonction des motifs de détention Source : auteurs. Description Ce schéma illustre la vitesse de circulation de la monnaie est fonction des motifs de détention.
Schéma 1 : La vitesse de circulation de la monnaie est fonction des motifs de détention Source : auteurs.

Pour évaluer la vitesse de circulation des billets, comme il n’est pas possible d’observer le nombre de fois où le billet change de main (vitesse de circulation), nous mesurons le nombre de mois qui s’écoulent, en moyenne, entre l’émission d’un billet et son retour à la Banque de France ou auprès d’opérateurs de tri agréés en France (cf. graphique 2).

Image Graphique 2 : Le délai de retour des billets Source : Banque de France – Calculs des auteurs. Description Ce graphique illustre le délai de retour des billets. Notes : L’évolution de la remise en circulation des billets par des opérateurs privés est prise en compte dans les versements. L’absence des coupures du 5, 200 et 500 euros se justifie par le fait que la France est importatrice nette de ces coupures. 
Graphique 2 : Le délai de retour des billets Source : Banque de France – Calculs des auteurs.
Notes : L’évolution de la remise en circulation des billets par des opérateurs privés est prise en compte dans les versements. L’absence des coupures du 5, 200 et 500 euros se justifie par le fait que la France est importatrice nette de ces coupures.

Au début de notre série, en janvier 2005 (avant cette date, la mise en place de l’euro ne permet pas de calculer un indicateur pertinent), les billets de 10 euros et de 50 euros revenaient en moyenne tous les 2 mois à la Banque de France, ceux de 20 euros tous les 4 mois. En 2022, les dénominations de 20 et de 50 euros ne revenaient plus que tous les 16 et 19 mois, respectivement. Les délais de retour associés à ces mêmes dénominations ont ainsi été multipliés par 5 et par plus de 7, respectivement, entre 2005 et 2022. Le billet de 10 euros, principalement utilisé à des fins transactionnelles, a également vu sa vitesse de circulation se réduire, avec un délai de retour porté à 8 mois, soit une multiplication de son délai de retour par 4 entre 2005 et 2022, mais dans une moindre mesure que les deux autres dénominations courantes, davantage utilisées.

Pour toutes les dénominations, le ralentissement s’est nettement intensifié pendant la crise sanitaire en 2020, marquée par une restriction des déplacements et donc des transactions. À la fin de la période d’observation, la hausse du coût d’opportunité de la détention de la monnaie induite par le relèvement des taux directeurs de la BCE à partir de la mi-2022 a pu jouer sur la baisse subite du délai de retour, en particulier, sur le billet de 100 euros (pour cette coupure, le délai de retour a été multiplié par moins de 3 entre 2005 et 2022). 

À noter que d’autres facteurs, comme la rationalisation de la chaîne logistique (par exemple, des capacités de tri, de transport et de stockage) peuvent aussi avoir un impact sur le délai de retour des billets.

Une autre mesure de la vitesse de circulation des billets, selon une approche macroéconomique plutôt que logistique, est la consommation des ménages payable en espèces rapportée aux émissions nettes (cf. graphique 3).

Image Graphique 3 : Indicateur de vitesse de circulation du billet Source : INSEE et Banque de France – Calculs des auteurs. Description Ce graphique analyse les indicateurs de vitesse de circulation du billet de 2005 à 2022 pour les billets de 10€, 20€ et 50€.
Graphique 3 : Indicateur de vitesse de circulation du billet Source : INSEE et Banque de France – Calculs des auteurs.
Notes : Rapport trimestriel entre la consommation privée des ménages payable en espèces (consommation hors dépenses de logement, d’énergie, de communication ...) et les émissions nettes de billets en valeurs (en log). 

Pour chaque dénomination, on note une tendance baissière de la vitesse : la consommation des ménages payable en espèces augmente moins vite que les émissions nettes de billets. Ces résultats confirment les conclusions tirées de la progression du délai de retour des billets : forte baisse de la vitesse pour le 50€, baisse marquée mais plus limitée pour le 20€ et baisse plus faible pour le 10€.

L’action de la Banque de France en regard de la baisse de la vitesse de circulation des billets

Comprendre la dynamique de la circulation des billets est crucial pour la Banque de France dont l’une des missions est de préserver la confiance du public dans la monnaie fiduciaire. De ce point de vue, l’augmentation des délais de retour est un sujet d’attention. L’offre de billets (production et livraison) doit s’adapter à la demande des acteurs (banques, transporteurs de fonds, commerces), qui eux-mêmes répondent à la demande de leurs clients. Par exemple, la dénomination de 50€, qui ne représentait que 16% des sorties de la Banque de France en 2010, est devenue une dénomination recherchée (elle représente 30% des sorties début 2023), à des fins de transaction comme de thésaurisation. 

De même, les billets se détériorent du fait de leur utilisation. Pour préserver leur bonne qualité et conduire les actions appropriées, il est indispensable de bien comprendre les évolutions de la vitesse de circulation des billets, celle-ci renvoyant à des motifs de détention et donc des modes d’utilisation différents des billets.

D’une manière générale, ces évolutions sont utiles à prendre en compte dans la stratégie nationale qui a été définie en matière fiduciaire (ce que l’on appelle la Politique Nationale de Gestion des Espèces).